Le 22 octobre, l’écrivain, poète et dramaturge français aura 90 ans. Tout le monde veut lui faire sa fête. On le réclame même à New York. Mais l’Académicien est en train de mettre la dernière main à de nouveaux « Impromptus » et planche pour 2009 sur un projet de comédie musicale.
Les encyclopédies et les anthologies font l’éloge de sa vision cocasse et grinçante de la condition humaine, la Monnaie de Paris l’a frappé pour l’éternité en lui éditant une médaille à son effigie en 1997, certains de ses textes illuminent les manuels scolaires et des maîtrises et des thèses sur ses œuvres enrichissent les jeunes esprits. On le cite, on le commente. Il est un des auteurs les plus joués, les plus récompensés et les plus internationaux avec des traductions en 28 langues.
Pourtant son corps ne repose dans aucun cimetière et sa date de mort ne figure nulle part. Normal, René de Obaldia fête ses 90 ans le 22 octobre prochain et l’homme de lettres a la délicatesse de s’excuser d’être encore vivant parce qu’on le croit mort. « Quand je dis que je ne suis pas mort, c’est évidement de l’humour. Il m’arrive à mon âge de perdre la mémoire et c’est humain. Mais quand je ne sais plus la date de ma naissance ou de ma mort, je me réfère aux ouvrages qui parlent de moi, j’apprends beaucoup de choses sur moi. Je reviens alors à moi-même ! »
A la question de savoir si c’est aux jeux de l’esprit qu’il doit son étonnante vivacité, l’Académicien répond : « C’est une grâce en tous les cas. Je suis moi-même étonné, en fait, j’ai coutume de dire que je suis ébaubi. Pas seulement d’être encore en vie mais mon étonnement va à toute l’Humanité, je suis profondément intéressé par les autres. J’ai une grande curiosité pour tout ce qui m’entoure.»
Le véritable amour : le renoncement de soi !
Qu’il s’agisse de l’amour, de l’amitié, des arts, de la nature, René de Obaldia assure n’être pas rassasié « de toutes ces beautés de la vie. » Peut-être parce que le romancier est passionné par le mystère de la vie et que sa quête est alors infinie. S’il se défend d’avoir la foi, cet ancien survivant de la barbarie nazie et des camps allemands en Pologne, fait sienne cette citation : « mon âme est profondément mystique mais mon esprit profondément critique. » « Je n’ai pas eu d’apparition comme Max Jacob, j’aurai bien aimé mais je n’ai pas eu cette chance ! » confesse ce catholique en état de grâce. « Je voue une grande admiration pour Saint-François d’Assise et les mystiques en général car je crois que c’est ça le véritable amour c’est-à-dire ce renoncement à soi-même pour aller vers les autres et les comprendre. » Alors faute de se prosterner sur un prie-dieu, René de Obaldia plie l’échine avec exaltation à sa table d’écriture. Et tout le monde lui pardonne! Car depuis des décennies cet écrivain régale les gens avec des romans, des poèmes, des pièces de théâtre.
On ne peut qu’être reconnaissant envers celui qui « pour écrire doit se monter le bourrichon » comme disait Flaubert. Se mettre dans un état second, se cloîtrer dans le grenier aménagé d’une maison de campagne, fuir les mondanités pour la paix bucolique, voilà comment ce maître (en)chanteur de la belle langue française « se rassemble et se ressemble dans l’écriture ». Celui qui avoue « vivre par crise et écrire par impulsion » assure n’avoir pas de regret : « j’ai une œuvre et je suis étonné moi-même de tout ce que j’ai écrit.»
Pour ce polygraphe et polyglotte, la préservation du verbe n’est pas un combat d’arrière-garde dans ce capharnaüm de mots rétrécis et étranglés pour gagner du temps et de l’espace : « c’est une grande tristesse car ces rétrécissements sont aussi ceux de l’esprit. Nous sommes dans une grande décadence où il y a confusion des genres, absence de valeurs auxquelles se raccrocher. On est dans l’insignifiant au lieu d’être dans la signification. Il y a une grande solitude des êtres et pourtant nous n’avons jamais eu autant de moyens de communication à notre disposition. » Celui qui définit l’amitié comme « un don de soi » et l’amour comme « la chose la plus merveilleuse sur cette Terre » est l’objet de toutes les attentions pour ses 90 ans. New York le réclame pour un hommage, les Editions Grasset attendent la remise d’une nouvelle création des « Impromptus », œuvre théâtrale née en 1961, la Comédie Française lui a commandé un discours sur le comédien Pierre Dux qui a été l’un de ses fidèles interprètes au théâtre et dont on commémore le 100ème anniversaire de sa naissance, le 21 octobre, soit 24 heures et 10 ans avant l’auteur.
A ces agapes de l’esprit s’ajoutent une réédition de son œuvre théâtrale dans une édition spéciale, la reprise de la pièce « Les Bons Bourgeois » (1980) dans le cadre d’un cycle Molière et la transposition sur scène en version musicale de « Fantasmes de demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l’âme sœur » (poèmes, 2006). Ce fumeur de gitanes n’a pas fini de surprendre ses contemporains. Et encore plus peut-être le jour où, entre deux volutes de fumée, ils apprendront la date de sa mort !
Sophie Pajot
Repères
-Naissance le 22 octobre 1918, à Hong-Kong. Fils d’un consul panaméen et d’une mère d’origine picarde.
-Fait prisonnier en 1940 et envoyé au Stalag V III C en Pologne. Rapatrié comme grand malade en 1944.
-Commence sa carrière dramatique grâce à Jean Vilar en 1960 avec sa première pièce « Génousie » puis avec André Barsacq qui crée au Théâtre de l’Atelier « Le Satyre de la Villette » (qui fit scandale).
-A été élu à l’Académie française le 24 juin 1999, au fauteuil 22, succédant à Julien Green
-Artiste complet : dramaturge, romancier, poète, académicien et citoyen du monde.
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